À la rencontre de Florian Lombardo, docteur de l’Université Paul Valéry en Sociologie

Futur docteur en sociologie de l’Université Paul Valery Montpellier III, Florian Lombardo est aussi entrepreneur. En juin 2023, il remporte le concours régional de pitch à l’entrepreneuriat grâce à son projet de prévention des suicides par les pairs. Le 5 octobre prochain, il présentera son  projet lors du BIG de BPI France. En attendant sa soutenance de thèse qui aura lieu lundi 18 septembre 2023, il répond à nos questions sur la combinaison « doctorat et entrepreneuriat ». 

En quelques mots, pouvez-vous nous dire qui vous êtes ?

Je m’appelle Florian Lombardo, je suis doctorant, en fin de thèse, et je fais beaucoup de choses dans la vie. J’aime aussi les arts martiaux, le dessin et les arts en tout genres.

Quel est votre parcours universitaire ?

Après le bac, je me suis inscrit en sociologie un peu par hasard. En terminale on n’en fait pas et on ne sait pas vraiment ce que c’est, et j’ai bien aimé. Initialement je voulais être enseignant dans le primaire donc j’ai rapidement fait des doubles cursus pour continuer la sociologie. J’ai validé une licence de science de l’éducation et une licence de sociologie. En parallèle de mon Master en sociologie, j’ai fait un M1 en Philosophie et un M2 MEEF (Métier de l’Enseignement et de la formation) pour me préparer au concours de l’enseignement.

Comme j’avais un bon profil, j’ai décidé de compléter mon parcours de sociologie par une thèse et de mettre de côté mes ambitions d’enseignement dans le primaire. C’est une thèse qui a été assez longue et difficile puisqu’elle était non-rémunérée. Durant ma thèse, j’en ai profité pour me former sur d’autres sujets : j’ai passé l’équivalent d’une licence en data science ; et j’ai suivi plusieurs formations notamment sur l’utilisation des statistiques appliquées au champ médical et plus particulièrement à la psychiatrie.

Sur quoi porte votre thèse ?

Je travaille sur le suicide, un vaste sujet, parfois un peu sombre. Le suicide c’est très complexe, ça a de très faibles chances de concerner n’importe qui. Ça me paraissait important de travailler sur le suicide car c’est un sujet assez tabou, qui fait peur et sur lequel on a du mal à se mobiliser.

L’objectif de ma thèse est de proposer un outil qui soit informatique et social pour appréhender les messages suicidaires sur les réseaux sociaux et proposer un soutien à ces personnes.

Pour le côté informatique, j’ai développé des algorithmes, avec des collègues et des étudiants, capables d’identifier des messages publiés sur les réseaux sociaux exprimant une détresse suicidaire, messages qui sont, dans la grande majorité des cas, parfaitement ignorés.

Le côté social, c’est de créer une communauté de prévention par les pairs (de nombreuses études montrent que ça marche assez bien pour le suicide) afin de mettre en relation des personnes qui ne vont pas bien pour s’entresoutenir. L’une des caractéristiques des personnes en détresse suicidaire c’est qu’elles sont capables d’avoir de l’empathie et d’être un soutien pour l’autre.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre activité entrepreneuriale ?

J’ai plusieurs activités entrepreneuriales en parallèle.

Ma première activité est liée à ma thèse. J’ai monté une équipe avec un collègue pour s’occuper du graphisme, un data-scientist pour gérer les algorithmes et un sociologue pour diriger le côté création de communautés. De mon côté je m’occupe des tâches de gestion et des levés de fond.

L’idée du projet est que les personnes intéressées s’inscrivent pour recevoir une notification, à la fréquence qu’ils souhaitent, indiquant qu’une publication qui laisse entendre qu’il y a un problème a été détectée. À partir de cette notification, la personne va consulter cette publication pour dire si l’algorithme s’est trompé, ou non. S’il ne s’est pas trompé et que la publication évoque des idées suicidaires, alors la personne envoie un petit message à l’auteur de la publication pour lui venir en aide. La finalité est de pouvoir créer une communauté qui s’autogère et soi autonome, ne sollicitant pas de financement.

Je mène un second projet, qui, pour l’instant, a un peu plus d’ampleur et est plus avancé que le précédent. J’ai enseigné à l’université pendant 6 ans ce qui m’a donné une certaine sensibilité aux situations de précarité étudiante. J’ai développé un projet « etupro » qui vise la mise en relation entre des professionnels et des étudiants pour que les étudiants puissent vendre aux professionnels les projets qu’ils réalisent et les compétences qu’ils développent pendant leurs études. L’objectif est de pouvoir apporter une rémunération aux étudiants, et éviter qu’ils s’enferment dans des cycles de précarité sans fond, en valorisant leurs compétences

Comment vous est venue l’idée d’entreprendre ? 

J’aurais dû soutenir ma thèse l’année dernière, mais suite à des soucis administratifs, ça n’a pas eut lieu.  J’ai donc perdu un an puisque mon manuscrit de thèse est prêt depuis l’année dernière. Pendant cette année, et je me suis dit que j’allais me former à l’entrepreneuriat. J’ai donc suivi une formation pour avoir les bases et après j’ai monté les équipes pour mes projets.

De quel accompagnement avez-vous bénéficié en tant que doctorant pour vous lancer dans l’entrepreneuriat ?

En tant qu’étudiant, j’ai pu m’inscrire dans le dispositif Pépite pour suivre une formation. Je me suis surtout beaucoup aidé du site BPI France. Je me suis aussi facilement constitué un réseau, c’est assez important dans ce domaine, d’entrepreneurs montpelliérains assez robuste. C’est un milieu très dynamique et je pense que c’est quelque chose qui fonctionne bien.

Avez-vous rencontré des difficultés dans la conception de votre projet entrepreneurial en tant que doctorant et si oui lesquels ?

J’ai rencontré tellement de difficultés avec ma thèse, notamment du fait que j’ai fait une thèse non rémunérée, qui a duré 7 ans, qui s’éparpillait et avait du mal à avancer. A côté de ça, les difficultés que je rencontrais dans le monde entrepreneurial me paraissaient extrêmement minimes. Bien sûr, je me suis pris des murs, il y a des gens qui me disaient qu’ils ne croyaient pas en mon projet, que ça n’allait pas marcher mais ce n’est pas grand-chose, par rapport aux difficultés de vivre une thèse non- rémunérée.

L’avantage c’est que si on a de l’énergie, on peut avancer sur les projets entrepreneuriaux et c’est encourageant tandis que la thèse, même en y mettant beaucoup d’énergie il m’a fallu sept ans pour arriver jusqu’à la fin et forcément ça demandait un peu plus d’acharnement.

Quelles sont les compétences, que vous avez pu développer tout au long de votre thèse ? Vous ont-elles été utiles pour entreprendre ?

Toutes ! C’est assez vague mais on sent vraiment la différence, et pour avoir suivi un dispositif où j’étais avec des étudiants beaucoup plus jeunes, certains en licence et d’autres en master, on arrive quand même avec un niveau de rigueur et de méthodologie supérieur. On est plus autonome et on a acquis un rythme de travail, on sait aussi travailler seul. La thèse apporte beaucoup.

Comment vous sentez-vous vis-à-vis de votre future participation à la présentation de votre projet au BIG ? 

Je ne suis pas particulièrement stressé ou anxieux de base donc je ne m’inquiète pas du tout de parler devant des gens. Je suis plutôt excité par le défi de présenter, en une minute trente, un projet assez conséquent, en tant que chercheur et expert de mon domaine.

Je suis aussi assez impatient de voir les réactions que je vais susciter. En effet, j’entre dans un milieu que je ne connais pas très bien qui est celui de la startup nation, avec cette notion de deeptech, dans laquelle on veut des technologiques qui révolutionnent l’avenir et produise beaucoup d’argent assez rapidement sur des choses nouvelles alors que j’apporte un projet sociologique, quasiment absent de cet univers. Dans ce projet, j’y mets quand même des éléments de technologies de pointe, autant du côté sciences sociales avec le monitoring et des sociétés de pair qui ne sont pas des notions évidentes, que du côté des IA. Je m’inscris donc là-dedans de plein droit mais je ne m’inscris pas dans les catégories préexistantes car le milieu du social ce n’est pas vraiment ce qu’on trouve dans cet univers-là.

Pour l’avenir, quels sont vos projets professionnels ?

Pour tout vous dire c’est assez flou. Parallèlement à tous mes projets déjà en cours, j’ai ouvert une micro-entreprise dans laquelle j’offre des services de prestation aux établissements de formation supérieure. Ça démarre doucement on va dire et je n’en tire pas encore de quoi vivre.

Pour l’avenir à moyen terme, idéalement j’arrive à vivre de ma micro-entreprise. À long terme on va retrouver deux options :  la première, c’est de me diriger vers une carrière académique si un poste se propose, ce à quoi je crois très peu ; la seconde qu’un ou plusieurs de mes projets entrepreneuriaux, etupro ou le projet de prévention de suicides par les pairs, fonctionnent suffisamment pour que je puisse me verser un salaire en tant que chef de projet et que j’arrive à en vivre.  Enfin, une autre idée, ce serait de travailler dans le milieu associatif. J’attends de voir ce qu’il arrive.

Quels conseils donneriez-vous à un doctorant qui souhaite se lancer dans l’entrepreneuriat mais qui n’ose pas ?

Je pense qu’il faut vraiment distinguer les doctorants qui sont rémunérés pour leur thèse, de ce qu’ils ne le sont pas. Je vais parler en tant que doctorant qui ne l’est pas, pour ceux-là, j’aurais envie de dire, vous n’avez rien à perdre. Pour les thèses rémunérées, ça dépend vraiment des profils. Le doctorat rémunéré ça donne beaucoup de liberté car on a un statut de cadre, on est libre de faire son programme tout en ayant une certaine sécurité avec un salaire qui tombe. Ce ratio confort/liberté il est quand même assez agréable et pour cela je dirais entreprenez si ça vous intéresse et qu’il y a quelque chose à faire mais ne vous sentez pas obligé non plus, il y a plein de choses qui sont intéressantes.