À la rencontre de… Xavi Márquez Ayllón, doctorant en Sciences du Langage à l’Université Paul Valéry Montpellier III

Dans le portrait du mois, Xavi, doctorant en science du langage à l’Université Paul Valéry Montpellier 3 et lauréat du deuxième prix du jury lors de la finale régionale de « Ma thèse en 180 secondes », nous présente son sujet de thèse et partage son expérience de doctorant, les défis rencontrés et ses projets pour l’après-thèse. Découvrez son parcours inspirant, entre passion pour la transmission des langues régionales et engagement sur le terrain.

Peux-tu te présenter en quelques mots ? 

Je m’appelle Xavi Márquez Ayllón, je suis enseignant de langues romanes — français, espagnol, catalan et, dernièrement, occitan —, sociolinguiste et didacticien, et je réalise un doctorat à l’Université Paul Valéry.

Peux-tu nous parler de ton parcours avant le doctorat ? 

J’ai un parcours un peu atypique. Je suis originaire d’Andalousie. Au collège et au lycée, je n’étais pas spécialement bon en langues ; d’ailleurs, je n’étudiais que l’anglais. Je me rendais quand même compte que l’international et les langues m’intéressaient beaucoup. Aujourd’hui, je sais que ce qui ne m’attirait pas c’était l’apprentissage scolaire classique des langues vivantes, basé sur la mémorisation, l’apprentissage de la grammaire et de l’écrit. Aux alentours de mes 15 ans, un petit bouleversement s’est produit : ma famille a commencé à accueillir des étudiants étrangers à la maison. Pour la première fois, je me retrouvais face à des personnes parlant d’autres langues que la mienne : le français en particulier, mais aussi l’anglais et l’italien. J’ai alors développé la compréhension, l’intercompréhension et maîtrisé rapidement ces langues.

À 18 ans, je pouvais interagir en anglais, français et italien. Je décide alors de quitter l’Andalousie afin de poursuivre mes études en licence de langues étrangères appliquées à Lille. Je choisi le portugais comme première langue, ce qui m’amène à réaliser un Erasmus au Portugal. À l’issue de ma licence, j’ai un bon répertoire linguistique et j’ai envie d’apprendre le catalan, alors je pars vivre à Barcelone. C’est une ville qui m’a toujours attiré pour son côté cosmopolite et plurilingue et par le fait qu’elle soit capitale de la Catalogne, communauté autonome avec trois langues co-officielles qui cohabitent. Il m’a toujours semblé évident de m’intéresser aux langues autochtones des territoires où j’ai vécu. Comme je parlais déjà l’italien, le français et le portugais, j’ai rapidement appris le catalan, une langue également romane.

Six ans plus tard, je décidé de m’installer à Toulouse. Je souhaite alors appliquer la même démarche qu’à Barcelone, mais cette fois avec l’occitan, une autre langue romane. Je me suis vite rendu compte que la situation n’était pas la même. Je savais que l’occitan n’était pas aussi parlé que le catalan, mais j’ignorais à quel point cette langue était minorisée. La plupart des gens n’en connaissent rien : ni la façon dont elle se parle, ni son évolution au fil du temps et cela malgré des ascendants souvent occitanophones d’une bonne partie de la population locale. J’ai donc commencé à apprendre l’occitan de manière autodidacte, et c’était tout un challenge ! J’avais toujours appris les langues en immersion, mais là, ce n’était pas possible, alors je l’ai fait petit à petit. Finalement, j’ai réussi à m’intégrer dans le réseau occitanophone de Toulouse et de la région, car nous ne sommes pas nombreux mais très soudés.

J’avais déjà un master en didactique des langues, c’est-à-dire dans le domaine de l’enseignement des langues, mais cet intérêt pour l’occitan m’a plus tard conduit à reprendre un deuxième M2 en sociolinguistique à l’Université Paul Valéry. Il me semblait évident qu’il y avait des choses à découvrir sur la façon dont la France est passée d’un pays plurilingue avec de nombreuses langues en contact à un pays essentiellement et politiquement monolingue. À cette époque, j’avais aussi ma casquette d’enseignant d’espagnol : j’ai donné des cours à l’Instituto Cervantes, à la Toulouse Business School et dans l’Éducation nationale. J’avais remarqué les difficultés des élèves français à apprendre d’autres langues. Je me suis donc demandé si cette difficulté n’était pas partiellement liée au fait qu’il n’y ait plus de diversité linguistique interne, étouffée par le français comme langue unique et norme unique.

Qu’est-ce qui t’a motivé à poursuivre un doctorat ? 

Mon mémoire, auquel j’ai obtenu 18, abordait déjà la sociolinguistique et les politiques linguistiques et éducatives françaises et ses retombés dans le domaine scolaire de la région Occitanie. Cela m’apportait une bonne base pour enchaîner avec le doctorat, j’ai pris une année pour préparer mon projet de thèse.

Avant cela, je ne m’étais jamais imaginé doctorant ; je ne savais pas comment cela fonctionnait, mais j’étais en train de réfléchir à un sujet qui me passionnait vraiment. Je souhaitais travailler sur un thème qui puisse mettre en valeur l’apprentissage de l’occitan et du catalan en France, et en particulier des élèves qui étudient en occitan ou en catalan à l’école.

J’ai déposé un dossier avec une de mes co-directrices de mémoire, qui est aujourd’hui ma directrice de thèse, Chrystelle Burban, sociolinguiste et enseignante de langues. J’ai eu la chance d’obtenir un contrat doctoral en dédication exclusive.

Aujourd’hui, je suis dans la dernière ligne droite de mon travail de thèse, en pleine rédaction, pour soutenir le plus tôt possible, idéalement en septembre 2025. J’alterne cela avec le perfectionnement de la langue occitane, qui fait désormais partie de mes langues sources.

Peux-tu nous présenter ta thèse de façon compréhensible par tous ? 

Il y a deux piliers dans ma thèse : le premier s’intéresse à la manière dont la France a géré son plurilinguisme autochtone et au fait qu’aujourd’hui, la vision soit focalisée exclusivement sur la langue française.

Le second pilier est plus didactique. Je m’interroge sur la façon dont on enseigne les langues vivantes romanes aux élèves français, comme si ces langues n’avaient aucun lien avec le français, alors qu’il s’agit de langues de la même famille qui partagent énormément. Les liens entre les langues ne sont pas suffisamment mis en valeur dans l’éducation, alors que cet apprentissage, au moins en termes de compréhension, pourrait être bien plus rapide.

En résumé, ma thèse cherche à prouver scientifiquement que les personnes qui dépassent le cadre monolingue du système scolaire français – c’est-à-dire celles qui suivent des parcours bilingues en occitan-français ou en catalan-français – disposent d’outils favorisant l’accès au plurilinguisme et sont plus à l’aise avec d’autres langues romanes comme l’italien, l’espagnol, le portugais, et même avec des langues d’autres familles. L’étude de ces langues minorisées, souvent considérées inutiles en France, apporterait finalement davantage sur le plan cognitif, notamment pour l’accès au plurilinguisme.

Pour prouver cela, je mène des ateliers d’ouverture et d’intercompréhension des langues romanes et compare les effets chez des publics différents – monolingues, bilingues et en immersion.

Comment et pourquoi as-tu choisi ce sujet ?

Mes années d’apprentissage et de pratique du catalan d’abord et puis de l’occitan, ainsi que mon intégration dans le réseau occitaniste local, m’ont permis de découvrir les écoles bilingues qui proposent l’enseignement des langues dites régionales, le catalan dans les Pyrénées-Orientales, et l’occitan dans le reste de la région Occitanie. Ces écoles sont vraiment minoritaires et représentent seulement deux à trois pourcents des établissements dans la région.

Grâce à ma double casquette de didacticien et d’enseignant de langues romanes, ainsi que de sociolinguiste, j’ai proposé un sujet de recherche centré sur les élèves qui étudient ces langues et sortent ainsi de la norme unilingue (c’est-à-dire l’enseignement en français, sans questionnement linguistique et sociolinguistique, et l’étude d’une deuxième langue, éventuellement une troisième, comme l’anglais ou l’espagnol).

Pour tester mon hypothèse, j’avais prévu, dès le dépôt de mon dossier de thèse, de mettre en place six ateliers de six heures dans six collèges différents de la région Occitanie – trois en région occitanophone, autour de Toulouse et Montpellier, et trois en région catalanophone, dans les Pyrénées-Orientales, autour de Perpignan.

Dans chacun de ces collèges, il y a :

  • une classe monolingue classique dans le public, c’est-à-dire des élèves qui ne font ni catalan ni occitan, mais étudient l’anglais et l’espagnol,
  • une classe bilingue dans le public dans laquelle les élèves ont suivi des parcours bilingues à l’école maternelle et élémentaire, avec la moitié des heures en français et l’autre moitié en occitan,
  • une classe immersive des écoles associatives et dont les élèves ont été scolairement immergés dans la langue occitane ou catalane.

J’ai mis en place des ateliers d’ouverture à l’intercompréhension de l’italien, du portugais, de l’occitan (pour ceux qui font catalan), du catalan (pour ceux qui font occitan), et même du roumain. L’objectif est de comparer les perceptions et la manière de comprendre ces langues pour chaque classe. Grâce aux questionnaires administrés avant et après les ateliers, je compare les perceptions de chacun pour savoir si les élèves ayant suivi des parcours en « catalan » ou en « occitan » comprennent plus facilement et rapidement les langues romanes par rapport à ceux qui n’ont pas suivi ces parcours. Je prends également en compte dans l’analyse les biographies langagières personnelles des élèves.

À quelle phase de ton doctorat en es-tu ? Comment prépares-tu la soutenance ?

J’ai récemment envoyé une première version de mon cadre méthodologique. C’est une partie assez consistante, car il s’agit d’une recherche-action, ce qui demande beaucoup d’explications. J’attends le premier retour : il y aura sans doute de nombreuses corrections et améliorations. Ensuite, j’attaquerai les autres parties, à savoir le cadre théorique et le cadre analytique. Pour l’instant, je suis focalisé sur mes activités de recherche et ne pense pas encore à la soutenance.

Jusqu’ici, j’ai participé à des congrès, des colloques de jeunes chercheur·euse·s, et j’ai même présenté un poster. Le mois prochain, je vais réaliser un séjour Erasmus+ à l’Université de Cadix, ma ville natale où j’ai grandi jusqu’à mes 18 ans, pour donner des cours de sociolinguistique comparée Espagne/France, de didactique des langues et d’intercompréhension entre langues romanes. Ce projet me tient particulièrement à cœur, car je n’ai pas étudié à l’université dans cette ville, et j’ai l’opportunité d’y revenir pour partager, apprendre et échanger avec l’équipe de sociolinguistique et de linguistique que je n’ai pas encore la chance de connaître.

Mon objectif est de terminer cette phase de recherche d’ici décembre pour ensuite me consacrer pleinement à la rédaction, que j’ai d’ailleurs déjà commencée. Le fait d’avoir un contrat doctoral me permet de me dédier exclusivement à mon doctorat sans avoir à donner de cours à côté, ce qui me donne le temps nécessaire pour terminer dans les délais et dans de bonnes conditions.

Comment as-tu géré l’équilibre entre tes recherches, ta vie personnelle et tes autres engagements ?

On jongle ! C’est vraiment le terme exact.

Il y a des périodes où la thèse prend le dessus, notamment lors de la première phase de préparation, de recherche de terrain, et d’entretiens. Pour ma part, j’ai mené plusieurs entretiens avec des acteurs institutionnels, ce qui a demandé beaucoup de temps, sans compter la préparation et la création des supports pour les ateliers. Ces supports doivent être conçus au millimètre près, car ils font partie intégrante du travail de thèse. Le début de ma thèse a donc été particulièrement intense.

Ensuite, il y a d’autres moments où je me suis davantage consacré à des activités de vulgarisation comme la période où je préparais Ma thèse en 180 secondes (MT180). Durant ces périodes, on met un peu de côté la recherche pure, bien que ce ne soit jamais simple. Participer à des événements comme MT180 m’a beaucoup aidé à clarifier mon sujet, notamment en apprenant à mieux communiquer sur mes recherches. La vulgarisation nous permet de structurer nos idées, de rendre plus fluide et solide ce qui, au début, peut sembler encore « liquide ».

Puis, il y a les périodes précédant un colloque ou un congrès, où c’est toujours la course, même en essayant de s’y prendre à l’avance. On veut toujours peaufiner la présentation et, bien souvent, la version finale se termine dans un sprint de dernière minute.

Certains moments sont aussi plus difficiles pour le bien-être mental. J’ai même suivi quelques séances de psychothérapie spécialisée pour essayer de respirer, prendre du recul, et relativiser. Faire une thèse représente une période de vie intense, et cette aide m’a permis de garder un meilleur équilibre.

Qu’est-ce que cela t’a apporté de participer à MT180 ? Quels conseils donnerais-tu à ceux qui veulent tenter l’aventure ?

Indépendamment du résultat, je recommande vraiment à tous de participer à MT180. C’est une belle occasion de sortir de la « bulle » de la thèse et de rencontrer d’autres doctorants et doctorantes. On se retrouve dans une communauté où l’on partage nos expériences et, surtout, on doit expliquer nos recherches à des gens qui ne sont pas dans notre domaine. Cela nous donne de précieux retours sur notre manière de communiquer, ce qui est très enrichissant.

J’ai eu la chance de remporter le deuxième prix du jury, ce qui a été une excellente nouvelle. J’avais beaucoup travaillé, passé des heures à perfectionner le texte. Je n’étais pas trop inquiet quant à la prosodie, ni même à la manière de parler, même si cela reste un défi, surtout que le français n’est pas ma langue maternelle. Ce qui me préoccupait le plus, c’était de me rappeler du texte sans note, sans oublier de passage. J’avais peur d’avoir des blancs, mais ça s’est bien passé : j’ai même eu l’impression de donner ma meilleure prestation lors de la finale régionale, ce qui m’a sûrement aidé à décrocher ce prix.

Participer à MT180 m’a énormément apporté. Cela m’a ouvert des portes, notamment grâce à la vidéo de ma prestation qui est sur YouTube. Des personnes du milieu occitaniste et des langues de France ont pu me contacter, ce qui m’a permis de nouer de nouveaux liens professionnels.

J’ai aussi l’impression d’avoir gagné en légitimité, autant en tant que chercheur qu’au sein de mon équipe. Mon directeur et ma directrice de thèse me soutiennent, mais avec nos emplois du temps chargés, nous ne sommes pas toujours en contact constant. Présenter ma thèse de manière vulgarisée en 3 minutes a aussi eu un impact positif auprès d’eux : cela leur a plu et les a confortés dans la confiance qu’ils ont en mon travail. Ce retour m’a reboosté après des mois intenses de travail.

Comment envisages-tu l’après-thèse ? As-tu des projets ou des pistes pour la suite de ta carrière ?

Il ne fait aucun doute que l’enseignement me manque beaucoup. Même si je regarde cela de loin pour l’instant, j’ai envie de descendre un peu du monde des idées — c’est d’ailleurs pour cela que je fais une recherche-action — car je ne souhaite pas être exclusivement dans un modèle théorique, j’ai besoin du terrain.

La première idée serait de passer la qualification pour pouvoir accéder, une fois ma thèse soutenue, à des postes de maître de conférences, même si le marché est très compliqué. Cependant, j’ai plusieurs casquettes : science du langage, linguistique, didactique des langues, langues régionales, et j’ai également enseigné le français et l’espagnol en tant que langues étrangères. Cela me donne trois qualifications possibles et multiplie un peu mes chances.

Une deuxième idée serait de chercher éventuellement un post-doc, peut-être du côté espagnol, car l’occitan est aussi une langue co-officielle en Espagne, ce qui est assez peu connu. J’aime beaucoup le sujet des connexions transfrontalières et j’aimerais réfléchir à la manière de les connecter davantage, linguistiquement parlant, mais pas seulement.

Enfin, une dernière idée serait de passer le CAPES d’Occitan. Un avantage du CAPES d’Occitan est que l’on ne peut pas être envoyé très loin de chez soi, puisque les postes de professeur d’occitan se limitent à la région Occitanie et éventuellement à la Nouvelle-Aquitaine. Aujourd’hui, si je ne dois enseigner qu’une seule langue, je préfère enseigner le catalan ou l’occitan. Je trouve que le travail de valorisation des langues qui ont historiquement été dévalorisées est très intéressant. J’ai des casquettes multiples, mais finalement, je crois que l’apprentissage de ma dernière langue va me motiver et m’ouvrir le plus de portes.

Quels conseils donnerais-tu à ceux qui envisagent de faire un doctorat, surtout en termes de gestion du temps, de motivation et de vie personnelle ?

Je ne peux parler que de mon cas, mais une thèse représente une énorme quantité de travail que je n’aurais pas pu réaliser si le sujet ne me passionnait pas vraiment. Je considère donc qu’il est essentiel de bien choisir son sujet.

Il faut aussi savoir prendre son temps. J’ai 36 ans et je suis en train de finir ma thèse, mais il y a aussi des personnes plus jeunes qui sont en train de terminer la leur. C’est incroyable et super encourageant, et elles ont sans doute un parcours très riche mais je crois qu’il ne faut pas avoir peur de laisser passer un peu de temps pour revenir mieux armé. De plus, il ne faut pas hésiter à des allers-retours ou ne pas avoir peur de faire des erreurs, c’est ce qui fait notre spécificité en tant que chercheurs.

Il est important de ne pas s’obséder par les délais qu’on est sensés suivre et il ne faut pas s’embarquer dans une thèse si on sent que ce n’est pas le moment. La thèse demande un engagement total, et il est, à mon avis, compliqué de se lancer si l’on n’est pas prêt ou si des préoccupations personnelles prennent trop de place.

———————————————–

Pour en découvrir plus sur le travail de Xavi : 

Visionner la prestation de Xavi lors de la finale régionale Occitanie-Est 2024 de Ma Thèse en 180 secondes et la remise du deuxième prix du jury > https://www.youtube.com/watch?v=1Aa6aviJaF8

Pour en savoir plus sur la dernière édition de l’École Occitane d’Été à laquelle Xavi a participé et animé des ateliers d’intercompréhension entre langues romanes (article en occitan) > https://www.jornalet.com/nova/22407/lescola-occitana-destiu-a-fach-sos-primiers-50-ans

Pour mieux comprendre la visibilisation et le traitement positif des langues co-officielles en Espagne (en contraste avec la réalité française) > https://www.youtube.com/watch?v=ZjgYrKRphOM