À la rencontre de … Mathilde Bigué-Perry, nouvelle représentante des doctorants de l’UPVM au Conseil du Collège Doctoral
Doctorante passionnée de littérature du XIXe siècle, enseignante, maman, et désormais représentante des doctorants au sein du collège doctoral : Mathilde porte de nombreuses casquettes, avec une énergie communicative. Dans cette interview, elle revient sur ses motivations, les enjeux qu’elle souhaite défendre, et sa vision du doctorat.
Publié le 15/05/2025
Parcours, recherche et projets d’avenir
Est-ce que vous pourriez vous présenter en quelques mots ?
Je suis Mathilde Bigué-Perry, doctorante en littérature française à l’Université de Montpellier Paul-Valéry, rattachée au laboratoire RIRRA 21. Je suis aussi professeure de français dans le secondaire depuis sept ans. Je suis spécialisée en littérature du XIXe siècle et ma recherche de thèse porte sur Leconte de Lisle et l’école païenne.
En termes simples, sur quoi porte votre sujet de thèse ?
Pour donner quelques éléments de contexte : Leconte de Lisle est un poète du XIXe siècle, rattaché au mouvement du Parnasse. L’école païenne désigne un ensemble de poèmes qui partagent des thématiques et des inspirations communes, notamment issues de l’Antiquité.
Mon travail de thèse consiste à définir les caractéristiques de cette esthétique antique que l’on retrouve de manière récurrente chez Leconte de Lisle et d’autres poètes de son époque. Au-delà de l’analyse littéraire des textes, je m’intéresse aussi à l’histoire littéraire, aux sociabilités artistiques et aux représentations du monde antique dans la littérature du XIXe siècle. Ce qui m’intéresse particulièrement, c’est l’ambition intellectuelle de Leconte de Lisle : il a développé ce que l’on pourrait appeler une « religion de la forme », une esthétique poétique rigoureuse, très marquée par l’influence antique.
Peu d’études récentes se sont penchées sur cet auteur, ce qui rend cette recherche d’autant plus stimulante. Mon objectif est d’analyser pourquoi et comment il a choisi de s’inspirer de l’Antiquité plutôt que des courants contemporains de son temps. Pour cela, j’examine les cercles littéraires auxquels il appartenait, ainsi que les stratégies mises en place par les auteurs pour se faire connaître ou affirmer une posture. Aujourd’hui, on parlerait d’image de marque ou de marketing littéraire, mais déjà à cette époque, des postures auctoriales étaient revendiquées.
Mon travail consiste donc à comprendre ce qui, dans son œuvre, correspond à sa conception personnelle de la littérature, et à observer comment cette littérature dialogue avec les enjeux culturels et politiques de son époque, notamment sous le Second Empire. J’analyse aussi les aspects purement littéraires : la construction des textes, la langue, le style…
Ce n’est pas toujours facile à expliquer, mais j’essaie de faire au mieux !
Pour quelles raisons avez-vous choisi de débuter une thèse ?
La thèse représente pour moi une ambition de longue date. J’ai toujours voulu devenir docteure ; c’était vraiment un objectif personnel. Mais après plusieurs années d’études, j’ai ressenti le besoin de faire une pause, d’entrer dans la vie active et de me détacher un moment du statut d’étudiante. J’avais besoin d’être plus ancrée dans le quotidien, plus active.
Dans tous les cas, j’avais prévu de passer les concours de l’enseignement — notamment l’agrégation — pour pouvoir enseigner et me sentir plus légitime si un jour je souhaitais intervenir à l’université. J’ai donc mis la thèse entre parenthèses pendant un temps, en me disant que je pourrais y revenir plus tard.
Malgré tout, je savais que je ne me voyais pas enseigner toute ma vie dans le secondaire. Ce que j’aime profondément, c’est la littérature, mais dans sa dimension universitaire et académique. Enseigner au collège ou au lycée, c’est très formateur, mais cela ne permet pas toujours de nourrir cette passion pour la recherche, la lecture et l’analyse littéraire de manière approfondie.
Ce qui me pousse aujourd’hui à faire une thèse, c’est d’abord une passion réelle pour la recherche. J’ai un goût insatiable pour la lecture : par exemple, ce matin encore, je suis arrivée à la bibliothèque avec un programme bien défini, et je suis repartie avec quatre ou cinq livres en plus sur ma liste ! J’ai une sorte de boulimie littéraire. Heureusement d’ailleurs, car sans cette passion, le quotidien d’une thèse pourrait vite devenir difficile.
Mais il y a aussi une ambition personnelle. J’ai envie de devenir experte dans un domaine, d’avoir un sujet qui m’appartienne, que je maîtrise en profondeur. Il y a aussi — je l’assume — une part de recherche de reconnaissance : le prestige lié à l’enseignement à l’université, le titre de docteure, c’est valorisant. Et, oui, pour l’ego aussi, cela me fait plaisir — autant être honnête !
Comment avez-vous construit votre sujet de thèse ?
C’est un sujet qui s’est construit dans le dialogue avec ma directrice de recherche, Mme Corinne Saminadayar-Perrin. Je l’ai rencontrée dès la licence, et j’avais tout de suite adoré sa manière de travailler, d’enseigner, sa rigueur. Je me suis dit : c’est cette exigence-là que je veux. J’avais fait une hypokhâgne et une khâgne avant, donc j’étais attachée à une certaine discipline, à une forme de rigueur intellectuelle. Et quand je l’ai rencontrée, ça m’a paru évident : c’est avec elle que j’aimerais continuer à travailler.
Elle a accepté de me diriger en master, et tout s’est très bien passé. Elle m’avait parlé d’un projet de recherche sur le long terme, en me disant : voilà, il y a ça qui pourrait se faire, ce serait un projet intéressant. Mais à l’époque, j’avais décidé d’arrêter les études. Et puis, un peu au culot, je me suis dit : on va voir si elle se souvient de moi. Je lui ai envoyé un mail en lui disant : la flamme est toujours là, est-ce que ça vous dirait de l’entretenir à nouveau ? Elle m’a répondu avec beaucoup d’enthousiasme : oui, avec plaisir.
On a donc rediscuté ensemble : de mes goûts, de ce qui se faisait à ce moment-là dans le domaine de la recherche, et de ce qui pourrait être utile ou intéressant. On est toutes les deux très intéressées par l’Antiquité et par la place qu’elle peut occuper dans la littérature contemporaine. Elle dirige d’ailleurs un programme intitulé Écriture de l’histoire au sein du laboratoire RIRRA21, qui interroge justement ces enjeux dans les œuvres littéraires. Finalement, on a trouvé un sujet qui nous enthousiasmait toutes les deux : Leconte de Lisle et l’école païenne.
Quels sont vos projets professionnels à l’issue de la thèse ?
Ce serait un rêve, un vrai accomplissement, de pouvoir enseigner à l’université. Mais quoi qu’il arrive, j’ai envie de continuer à faire de la recherche dans ce domaine-là. Et finalement, je peux le faire en étant enseignante dans le secondaire : poursuivre mes recherches en littérature en parallèle, c’est tout à fait possible.
Quitter l’Éducation nationale ? Pas tout de suite. Mais si une opportunité se présentait, je pense que je sauterais dessus, oui. En attendant, ce qui m’anime vraiment, c’est de pouvoir être à la fois enseignante et chercheuse : continuer à creuser, à explorer, tout en faisant évoluer mes pratiques d’enseignement.
J’aimerais réussir à proposer un enseignement plus exigeant, plus précis, même au collège ou au lycée. Avoir un regard un peu plus critique, un regard différent, ça m’intéresse beaucoup. Et puis, ne pas m’endormir dans mes pratiques : la recherche peut justement nourrir mon enseignement et me faire évoluer dans le secondaire.
Et si, un jour, je pouvais mettre un pied à l’université… ce serait le rêve. On verra bien.
Un engagement au service des doctorants
Le mois dernier, vous avez été désignée représentante des doctorants de l’Université de Montpellier Paul-Valéry au Conseil du Collège Doctoral Languedoc-Roussillon. Pourquoi avez-vous choisi de vous présenter en tant que représentante ?
Parce qu’il en faut ! Et j’ai l’impression que nous ne sommes pas si nombreux à vouloir nous porter volontaires ou à accepter de nous exposer. Pourtant, je trouve que c’est important de permettre le dialogue entre notre réalité de doctorants et les institutions.
Je dois avouer qu’au départ, j’avais une vision très solennelle, presque rigide, de l’institution. Et j’étais curieuse de voir si cette image correspondait vraiment à la réalité. Je me suis dit : allez, tu as 31 ans, tu peux oser poser des questions, être présente, tenter quelque chose.
Je pense aujourd’hui pouvoir être une bonne porte-parole. J’ai commencé la thèse il y a un an, et déjà, beaucoup de camarades autour de moi me disent qu’ils se sentent isolés. Moi aussi, j’ai cette crainte-là : me retrouver seule face à mon sujet. Alors porter ces préoccupations concrètes – comme l’isolement – et pouvoir les faire remonter, ça m’a paru utile.
Et dans cette envie d’être utile aux autres, il y a aussi celle d’en tirer quelque chose pour moi : comprendre les coulisses, voir comment les décisions sont prises, qui fait quoi, comment les discussions s’organisent. J’avais cette curiosité un peu « petite souris », de me dire : vas-y, tente, tu verras.
Et puis voilà, parfois, il faut juste oser.
Avez-vous des attentes ou des objectifs en tant que représentante et si oui lesquels ?
Oui, j’aimerais vraiment améliorer la communication. Parce qu’en tant que doctorante, je ne sais pas toujours à qui m’adresser quand j’ai une question. Il manque parfois un repère, une personne ressource. Si je peux être ce point de contact, une sorte de relais d’information, pourquoi pas ! L’idée, ce serait de rendre les choses plus visibles, plus accessibles.
On apprend à faire de la recherche, on se spécialise sur un sujet, mais tout l’aspect logistique, administratif, on ne nous l’apprend pas vraiment. Alors si je peux jouer un rôle de passeur – un peu comme je le fais déjà en tant qu’enseignante – ce serait utile.
J’aimerais aussi contribuer à mieux valoriser les parcours doctoraux. Avant la rentrée doctorale, je n’avais aucune idée de la diversité des thèses possibles. Je pensais que le doctorat, c’était juste ce que je connaissais moi. Et en réalité, il y a une grande richesse de profils, de disciplines, d’approches. Montrer ça, dire aux autres : si tu veux, tu peux aller jusque-là, mais il faudra t’en donner les moyens… c’est motivant, et c’est important.
Quelles sont les enjeux que vous souhaitez défendre en tant que représentante des doctorants ?
Je ne sais pas si c’est un enjeu à porter uniquement auprès du Collège Doctoral, mais ce qui me tient vraiment à cœur, c’est que le doctorat soit pleinement reconnu comme un travail de recherche à part entière – comme un véritable emploi, avec des droits. Parce qu’on est souvent dans une position un peu floue : on est étudiants, mais aussi contractuels parfois, on fait partie d’un projet de recherche… mais ce n’est pas toujours reconnu à sa juste valeur.
L’idée, ce serait de dire : on est des travailleurs de la recherche, pas de simples observateurs. On veut être actifs, engagés, et on mérite que ce statut hybride soit clarifié et reconnu.
Il y a aussi la question de la précarité, notamment pour les doctorants non contractuels. C’est un sujet important. Même si, personnellement, j’ai un emploi à côté qui me donne une certaine stabilité, je vois bien à quel point il est difficile de jongler entre la vie professionnelle, les exigences de la thèse, la vie personnelle… C’est un équilibre très fragile.
Donc, si je peux être utile pour faire avancer ces questions-là – la reconnaissance du travail doctoral, la lutte contre la précarité, la préservation de la santé mentale – alors je le ferai volontiers. Même si ce ne sont pas des sujets strictement liés au Collège Doctoral, ce sont, selon moi, des enjeux essentiels.
Est-ce qu’il y a un message que vous souhaiteriez faire passer au doctorant que vous représentez et qui vont certainement vous lire ?
Oui, le premier message que j’aimerais leur transmettre – et que je me répète souvent à moi-même – c’est : vous n’êtes pas seuls. Votre travail est légitime, il est précieux. Alors n’hésitez pas à prendre la parole, à faire remonter vos difficultés, vos questions, vos besoins. Osez vous exprimer, vraiment.
Regards sur le doctorat
Qu’est-ce qui vous motive au quotidien dans votre parcours doctorat ?
Ce qui me motive, c’est la curiosité : l’envie de découvrir, de lire, de comprendre, d’en savoir toujours plus. J’ai la chance d’aimer profondément les mots, et je suis fascinée par toutes ces expressions que nous utilisons encore aujourd’hui et qui sont nées au XIXe siècle. J’adore en apprendre l’origine et je ne peux pas m’empêcher de les raconter à tout le monde – ma famille n’en peut plus, mais je partage quand même ! Ce qui m’anime, c’est vraiment ce plaisir d’apprendre, de transmettre un peu de savoir et de toujours aller plus loin.
Qu’est-ce que vous faites pour vous déconnecter ou vous ressourcer en dehors de votre thèse ?
Je suis maman d’un petit garçon qui va bientôt avoir deux ans, donc je passe beaucoup de temps avec lui. Lui, clairement, les alexandrins et Leconte de Lisle, ça lui passe au-dessus de la tête, et c’est très bien comme ça ! Mon mari aussi n’a jamais été passionné par la littérature – l’école, ce n’était pas trop son truc. Mais justement, le fait d’être entourée de personnes qui me soutiennent sans forcément partager ma passion, ça m’aide à prendre du recul et à couper. Je vois beaucoup mes amis, j’adore faire la fête, et j’écoute aussi plein de vidéos sur des sujets qui n’ont rien à voir avec la littérature. Jouer avec mon fils, rire, me changer les idées, ne pas parler de recherche… c’est essentiel. Et parfois, je vois dans le regard de mon entourage que j’en fais un peu trop – alors je me dis : “ok, je me calme” !
Si vous deviez résumer votre expérience de thèse en un mot ou une image ce serait quoi ?
Je dirais : une traversée. C’est un peu comme être en mer. Parfois, on navigue à vue, parfois pas du tout… On se demande ce qu’on fait là, pourquoi on s’est embarqué dans cette aventure. Mais si on garde le cap, si on reste exigeant avec soi-même, on peut aller loin. Et surtout, cette traversée peut ouvrir des horizons qu’on n’avait même pas imaginés.
Est-ce que vous voulez ajouter quelque chose qui est un aspect qu’on n’aurait pas balayé ? Et que vous voudriez rajouter ?
Oui, peut-être juste redire que vous n’êtes pas seuls. Il faut parler, oser dire les choses. Parfois, une simple phrase échangée avec quelqu’un peut vraiment débloquer une situation, ouvrir des portes. Si je peux me rendre utile, ne serait-ce qu’en écoutant, je suis là. Et j’aimerais aussi contribuer à désacraliser un peu l’image du collège doctoral ou des instances universitaires. Que ce soit moins solennel, plus humain. Ce sont aussi des lieux où les choses peuvent se faire simplement.