À la rencontre d’Anne-Laure Fischer, responsable du département Sciences, Cultures et Numériques de l’Université Paul Valéry Montpellier 3

Publié le 16/07/2024

Vous vous interrogez sur le principe des Sciences Ouvertes ? Vous vous demandez quels avantages il y a à publier sur la plateforme HAL ? Anne-Laure Fischer, responsable du département Science, Culture et Numérique de l’Université Paul Valéry Montpellier 3, est une spécialiste de ces questions. Dans cette interview, elle répond à toutes vos interrogations sur l’open access et le partage des données scientifiques, et vous explique pourquoi ces pratiques sont essentielles pour l’avenir de la recherche.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Anne-Laure Fischer, responsable du département Sciences, Cultures et Numériques de l’Université Paul Valéry Montpellier 3, au sein duquel se trouve notamment le service d’appui à la recherche.

Quelles sont les missions du service d’appui à la recherche ?

Ce service est chargé d’accompagner les chercheurs et doctorants dans les démarches de publication et de valorisation de leurs recherches à travers deux principales missions :

  • la sensibilisation et l’accompagnement des chercheurs et doctorants sur les questions et outils relatifs à la Science Ouverte, notamment le dépôt de leurs publications dans HAL et la gestion de leur identité numérique ;
  • le signalement et le dépôt en ligne des thèses et des mémoires soutenus par les doctorants et étudiants de l’Université Paul Valéry. Au niveau des thèses, le dépôt est obligatoire : toutes les thèses sont, à minima déposées sur le portail des bibliothèques de Montpellier et pour les doctorants qui le souhaitent, elles sont aussi déposées sur HAL.

Qu’est-ce que la Science Ouverte ?

La Science Ouverte est un mouvement qui vise à rendre la science plus ouverte et plus transparente dans toutes les étapes du processus scientifique. « Ouvrir la science » signifie donc rendre accessibles, en ligne, les publications scientifiques bien sûr, mais également les données qui ont été récoltées pour permettre l’analyse scientifique ainsi que les outils et les méthodes utilisés dans le processus de recherche.

La Science Ouverte s’appuie notamment sur les outils numériques et les possibilités offertes par Internet. Ce mouvement débute dans les années 1990, avec la création d’ArXiv, la première archive ouverte, et s’intensifie lors de la création du portail HAL en 2001. Depuis une dizaine d’année, on constate une accélération sous des impulsions politiques grâce à des lois et des prises de positions d’agences de financement et de gouvernements en faveur de l’ouverture de la science.

Quels sont les enjeux de la Science Ouverte ?

On distingue trois enjeux majeurs autour du développement de la science ouverte : scientifiques, économiques et sociétaux.

Au niveau des enjeux scientifiques, la Science Ouverte permet une accélération et une facilitation de la mise à disposition des résultats de la recherche. En effet, lorsque l’on souhaite publier un article de recherche, dans une revue ou un ouvrage, les délais sont très importants, pouvant atteindre plusieurs mois, voire plusieurs années. Cependant certaines situations (par exemple, la crise du Covid-19) nécessitent une réaction rapide et la nécessité de partager les résultats de recherche le plus rapidement possible. De plus, les abonnements aux revues peuvent être extrêmement chers et les universités ne peuvent pas se payer tous les abonnements. Certains chercheurs n’ont donc pas accès aux résultats des travaux d’autres chercheurs ce qui engendre un blocage des avancées scientifiques.

L’enjeu économique est de se réapproprier les résultats de recherches publiques. En effet, est-il logique que ce soient des éditeurs privés qui s’accaparent les résultats de travaux financés sur des fonds publics ? Les chercheurs ne sont pas payés par les éditeurs pour les publications qu’ils soumettent, les relecteurs non plus, tout ce travail est financé uniquement par l’Etat. Par ailleurs, le partage des données de recherche permet d’éviter que d’autres groupes de chercheurs travaillent plusieurs fois sur les mêmes sujets, perdent du temps et de l’argent, alors qu’ils auraient pu repartir des données produites par un autre groupe pour en tirer d’autres conclusions, étudier un autre axe ou encore faire des comparaisons.

Enfin, l’enjeu sociétal est de restaurer la confiance des citoyens qui sont de plus en plus de défiants vis à vis de la Science – on l’a bien vu notamment avec les mouvements anti-vaccins lors de la crise du Covid-19. Grâce à la science ouverte, on peut objectiver les choses, montrer où en est la science, que les résultats scientifiques sont accessibles à tout le monde et transparents. De plus, avec le mouvement de la Science Ouverte, la société civile peut s’impliquer davantage dans le développement de la science, grâce à des mouvements de recherche participative par exemple.

Quelle est la stratégie de l’Université Paul Valéry pour « ouvrir la science » ?

À l’Université Paul Valéry, nous avons fait le choix de ne rien imposer, contrairement à d’autres universités où cela peut être le cas.  Nous avons plutôt opté pour l’incitation, la sensibilisation et l’accompagnement des chercheurs pour les aider au dépôt sur HAL. En effet, les stratégies peuvent être différentes et sont parfois complexes en fonction des disciplines. Nous n’avons pas souhaité imposer une seule vision, une seule manière de faire.

Parmi les mesures incitatives, nous avons organisé, l’année dernière, un colloque sur la Science Ouverte, ouvert à tous, afin de présenter et d’expliquer les enjeux. Au niveau des doctorants, nous mettrons en place, dès 2025 , un tronc commun de formations obligatoires que devront suivre tous les doctorants. Dans ce tronc commun, une partie sera dédiée à la Science Ouverte, de manière à ce que tous les doctorants aient au moins été formés aux bases de la science ouverte.

Nous nous inscrivons également dans une démarche de réforme de l’évaluation de la recherche, notamment avec la signature de la déclaration DORA. Celle-ci part du principe que l’évaluation de la recherche doit être basée sur des critères qualitatifs et non pas sur des critères quantitatifs, afin d’éviter de céder à un simple calcul du nombre de publications qui pourrait entraîner certaines dérives.

En résumé, nous faisons confiance aux chercheurs et doctorants pour essayer d’ouvrir autant que possible les publications et les données, conformément au principe « aussi ouvert que possible, aussi fermé que nécessaire ».

Vous avez beaucoup parlé de HAL jusqu’ici. Pouvez-vous expliquer ce qu’est cette plateforme ?

HAL est ce que l’on appelle une archive ouverte, c’est-à-dire un site internet sur lequel les chercheurs peuvent librement et gratuitement déposer leurs travaux scientifiques, publiés ou non. Des lecteurs peuvent venir, gratuitement, consulter les travaux qui y ont été déposés par les chercheurs.

HAL est une plateforme française et nationale. Il existe d’autres plateformes telles que HAL, mais HAL est LA plateforme préconisée par le ministère dans le cadre du « plan national pour la science ouverte » et c’est l’archive ouverte incontournable en France.

Il existe d’autres archives ouvertes, au niveau européen notamment, comme Zenodo. On a aussi des archives institutionnelles développées par les universités. Ces universités utilisent prioritairement leur propre archive mais, dans la plupart des cas, voire dans tous les cas, ces archives communiquent avec HAL.

Très concrètement, quelles formes doivent prendre les travaux de recherche diffusés dans HAL ? Y a-t-il une modération ? Se fait elle au niveau des universités ou à un autre niveau ?

Les travaux de recherche diffusés dans HAL peuvent prendre la forme de texte, d’images, de son, de vidéos : de nombreux formats sont acceptés sur HAL. Toutefois, c’est essentiellement du texte que l’on retrouve puisque ce sont surtout des publications scientifiques qui y sont déposées.

On peut déposer dans HAL des documents qui ont été publiés, ou non. Par exemple, un poster scientifique qui a été présenté à un colloque mais n’a pas vocation à être publié peut être diffusé dans HAL. Cela peut permettre de lui donner une seconde vie. Dans la même perspective, on peut déposer des preprints, des documents de travail, des cours, une communication qui a été faite dans un colloque et n’a pas donné lieu à des actes.

Cependant, l’objectif n’est pas de déposer tout et n’importe quoi dans HAL. Il faut prendre en compte que l’on ne peut pas retirer un document qui a été déposé dans HAL. On peut, cependant, mettre une nouvelle version, justement pour que cela engage la responsabilité du chercheur. De ce fait, les chercheurs doivent publier un document de travail s’il est suffisamment abouti.

Est-ce qu’un chercheur peut à la fois publier chez un éditeur et dans HAL ?

Oui tout à fait, nous encourageons beaucoup cela. C’est l’un des défis que l’on rencontre : il y a beaucoup d’incompréhension et d’interrogations de la part des chercheurs sur ce qu’ils ont le droit de déposer, ou non.

En France, nous avons « la loi pour une république numérique » de 2016 qui autorise les chercheurs et doctorants, dont la recherche a été financée au moins à 50% par des fonds publics, – donc pour tous les chercheurs s’ils sont payés par les universités – à déposer sur HAL, les articles (cette loi ne couvre que les articles) dans la version post-print c’est-à-dire la version manuscrite sans la mise en page de l’éditeur, après un délai d’embargo de 6 mois pour les Sciences Techniques et Médecine et de 12 mois pour les Sciences Humaines et Sociales. Cette loi prime sur toutes les décisions d’éditeurs donc peu importe que l’éditeur soit d’accord ou pas.

Y a-t-il des fonctionnalités dans HAL qui peuvent être utiles aux chercheurs ? Si oui lesquelles ?

Tout d’abord, le CV HAL : lorsque l’on crée un compte pour déposer dans HAL, on peut créer un profil à partir des éléments ajoutés, et le CV HAL est automatiquement généré à partir de ces dépôts dans HAL. Ce CV en ligne est alimenté automatiquement par les dépôts dans HAL. On n’est pas du tout dans une fonctionnalité de réseau social : il n’y a pas de réseau d’amis à suivre.

Il y a aussi une fonctionnalité de gestion des dépôts grâce à l’IDHal. L’IDHal est l’identifiant du chercheur dans HAL. Cet identifiant permet de regrouper toutes les publications d’un même chercheur et de gérer les problèmes d’homonymie.

Une autre fonctionnalité est le plugin HAL pour WordPress. Grâce à ce plugin, les chercheurs ou les laboratoires ayant un blog peuvent automatiquement ajouter à leur site les publications présentes dans HAL.

Enfin, une nouvelle fonctionnalité a été récemment mise en place dans HAL : un service de suggestion de dépôts. Les chercheurs peuvent définir des paramètres pour retrouver les publications publiées dans d’autres revues en open access et les ajouter à leur CV HAL. Grâce à cette fonctionnalité, HAL identifie l’existence d’une publication, récupère le fichier et l’associe directement au chercheur.

 Quels bénéfices les chercheurs et les doctorants peuvent-ils tirer de l’utilisation de HAL ?

Il existe un petit schéma illustrant tout ce les chercheurs ont a gagner, à titre individuel, à publier en open access, que ce soit auprès d’une revue en libre accès ou sur HAL.

Un document librement accessible sur Internet va être plus visible et donc plus consulté, atteindre davantage de lecteurs et aura ainsi plus de chances d’être cité. Le nombre de citations est pris en compte dans l’évaluation de la recherche. Il y a de nombreux enjeux pour les chercheurs et les doctorants à être cités – reconnaissance, visibilité, notoriété – en particulier pour les jeunes doctorants.

De plus, HAL est extrêmement bien référencé dans les moteurs de recherche. Une publication déposée sur HAL sera visible depuis un moteur de recherche sans besoin de rechercher sur HAL. Simplement en tapant des mots-clés dans un moteur de recherche, on accède facilement aux résultats de HAL.

Le portail HAL de l’UPVM3 existe depuis 3 ans. Quel bilan pouvez-vous tirer de l’utilisation de HAL par les chercheurs et doctorants ?  

Nous sommes en pleine préparation de la campagne d’évaluation HCERES prévue pour 2025. C’est un moment intéressant qui va nous aider à faire le bilan. Dans le cadre de cette évaluation, les laboratoires doivent indiquer le nombre de publications de leurs chercheurs, et l’HCERES a mis en place un outil d’extraction depuis HAL pour simplifier ce processus. Les laboratoires comprennent donc bien l’intérêt de HAL pour ce bilan.

En 2021, lors de l’ouverture du portail, nous avons proposé un grand nombre de formations, sous différentes formes, pour sensibiliser un maximum de personnes à HAL. Trois ans plus tard, on constate que certains laboratoires se sont bien appropriés HAL, déposant beaucoup de documents et mettant en place un suivi auprès de leurs membres, tandis que d’autres n’ont pas du tout adhéré. Cela varie vraiment, selon la direction du laboratoire et son impulsion, ou non.

Depuis l’ouverture de notre portail HAL en 2021, nous avons atteint en moyenne 4000 dépôts par an. Pour l’année 2024, on observe une hausse puisque nous sommes déjà à 4000 dépôts alors que nous ne sommes qu’à la moitié de l’année, ce qui est plutôt encourageant.

Quels sont les principaux défis auxquels le service d’appui à la recherche fait face concernant l’utilisation de HAL ?

Une des problématiques que nous rencontrons, et que j’ai déjà évoquée, c’est le fait que les chercheurs ne savent pas toujours ce qu’ils ont le droit de déposer, ou pas, dans HAL, et c’est souvent ce qui les bloque.

En second lieu, la réticence des chercheurs vient du fait qu’ils manquent de temps. C’est un peu difficile pour les chercheurs qui n’ont jamais déposé dans HAL, et qui ont toute une carrière derrière eux : cela peut prendre du temps s’ils doivent tout déposer dans HAL. De plus, ces chercheurs sont souvent un peu plus âgés et ne sont pas forcément à l’aise avec les outils numériques. Cela nécessite donc un accompagnement dans l’utilisation d’un site internet tel que HAL.

Avez-vous des retours d’expérience ou des témoignages de chercheurs sur l’impact de HAL sur leur travail ?

En 2021, nous avions organisé, au sein des établissements de Montpellier et de la Région Languedoc-Roussillon, les journées CasuHAL, la communauté des utilisateurs de HAL qui rassemble des chercheurs qui viennent d’un peu tous les établissements en France utilisant HAL. Dans ce cadre-là, nous avions réalisé des vidéos de témoignages de chercheurs et d’autres intervenants.

Au niveau de notre université, il y a un témoignage que j’avais trouvé très intéressant, celui d’un étudiant de niveau master qui avait déposé son mémoire sur DUMAS, le portail d’archives ouvertes des travaux d’étudiants. En 2019, des journalistes préparant une émission sur les artistes contestataires japonais ont trouvé, dans DUMAS, le mémoire portant sur cette thématique et ont interviewé l’auteur du mémoire. Je ne sais pas ce que cela a donné par la suite, mais cet exemple montre que les recherches de cet étudiant, bien qu’il soit en master, ont pu être portées à la connaissance du grand public grâce au libre accès.

Quelles sont les objectifs de l’université pour l’avenir de HAL dans le contexte de la recherche universitaire ?

Nous allons continuer à sensibiliser les chercheurs à HAL en multipliant les actions de formation, sous toutes leurs formes, afin d’atteindre le plus grand nombre de chercheurs possible. Ces chercheurs n’ont pas tous les mêmes besoins : certains préfèrent l’autoformation tandis que d’autres ont vraiment besoin d’un accompagnement personnalisé en tête-à-tête. Nous proposons également des formations adaptées aux doctorants, pour lesquelles nous observons de bons taux de participation.

Le principal objectif est d’augmenter le taux de dépôts en libre accès. HAL devient de plus en plus un outil de pilotage à partir duquel on peut tirer des listes de publications pour préparer les bilans HCERES, ce qui n’est pas la vocation initiale de cet outil qui est à la base une archive ouverte pour le dépôt.

Enfin, nous travaillons sur le projet d’un site dédié à la science ouverte pour notre université. Ce site aurait pour but d’expliquer et de sensibiliser à la science ouverte, ainsi que de faire le lien vers toutes les actions proposées à l’Université Paul Valéry. Nous articulerions ce site avec notre portail HAL. À terme, nous souhaiterions réviser la charte de la science ouverte de l’université, rédigée en 2019, afin de la mettre à jour et de nous fixer des objectifs sur plusieurs années.