À la rencontre de Dimitri Garncarzyk, correspondant The Conversation de l’Université de Perpignan Via Domitia
Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Dimitri Garncarzyk, je suis maître de conférences en littérature comparée à l’Université de Perpignan Via Domitia depuis la rentrée de septembre 2021. Depuis que je suis arrivé à l’UPVD, je suis particulièrement actif sur les questions de sciences ouvertes et dans les rapports de science-société.
Quel est votre lien avec le journal The Conversation ?
J’ai découvert The Conversation quand je finissais ma thèse, entre 2017 et 2018. C’était à un moment où, dans la sphère éditoriale, il y avait eu la publication, chez un grand éditeur d’un livre qui proposait une thèse pseudo-historique un peu délirante. J’avais donc proposé à The Conversation un article autour du problème de la communication entre le savoir des humanités, donc les sciences souples, et la société. Cet article est paru dans la rubrique culture de The Conversation en 2018, et c’est comme ça que ma collaboration avec ce médium a débuté.
J’ai continué à y contribuer, de ma position de doctorant jusqu’aux différents postes que j’ai occupé par la suite notamment lorsque j’étais ATER. J’ai eu l’occasion de rédiger une dizaine de contenu. J’ai appris à bien connaître le fonctionnement de ce médium et à apprécier le travail de communication et de vulgarisation qu’il propose.
À mon arrivée à l’UPVD, en 2021, je me suis rendu compte que l’Université de Perpignan n’était pas adhérente de The Conversation et j’ai trouvé ça vraiment dommage parce que cette université propose des choses passionnantes, en particulier au niveau des énergies et du côté des sciences dures mais elle souffre aussi du centralisme français. En effet, l’UPVD est une des universités les plus excentrées de métropole. Je me disais donc, que pour le rayonnement de l’établissement, et pour que les chercheurs communiquent leurs résultats, leurs problématiques et leurs travaux, ce serait bien que l’on adhère.
J’ai monté, au cours du deuxième semestre de l’année universitaire 2021-2022, un dossier pour un financement d’appel à manifestation d’intérêt, qui était proposé par les VP Recherche de l’UPVD où je demandais 10 000€ nécessaire pour l’adhésion à The Conversation pour l’année universitaire suivante. J’ai emporté cet appel, qui a été très soutenu par l’équipe présidentielle, et donc on a adhéré. Cette adhésion a débloqué la possibilité pour n’importe quel chercheur de l’établissement de contribuer. Durant l’année universitaire 2022-2023, on a publié un nombre d’article assez satisfaisant qui ont tout de suite eu une bonne audience pendant la première année. Le dispositif a donc été pérennisé et c’est le SCD (Service Commun de Documentation) maintenant qui prend en charge annuellement l’adhésion de l’établissement.
Nous avons donc le référent sciences ouvertes du SCD qui co-pilote avec moi le projet, qui en a pris la charge administrative et financière, et je reste le correspondant enseignant-chercheur pour les collègues qui sont intéressés par le médium et pour The Conservation. On est donc deux personnes à porter ce partenariat sur l’établissement.
Pourriez-vous nous présenter The Conservation ?
The Conversation c’est un médium qui est né au début des années 2010 (mars 2011) en Australie. L’idée est partie du constat que l’information scientifique, au XXIème siècle, avait beaucoup de mal à se faire entendre, notamment dans les communications numériques qui sont devenues un vrai champ de bataille pour la désinformation et les fakes-news. L’objectif de The Conversation était donc de créer, sous la dimension blog, qui était encore très populaire à cette époque, un format de vulgarisation où les chercheurs présenteraient problématiques et résultats à la société de façon accessible dans un médium auto-financé et sans publicité. L’idée était donc pour les chercheurs de créer une safe-place numérique où ils pourraient présenter les enjeux, les recherches en cours et les résultats de la science, sans être immédiatement, soit mis sur le même plan que des discours d’opinion ou des discours politiques ce qui était un des défauts de la presse traditionnelle qu’elle soit papier ou numérique, soit, et parce que c’est la malédiction d’internet, être directement pris à partie par les pseudo-scientifiques, les complotistes en tout genre ou les groupuscules.
Le but c’était d’avoir cet espace pour l’expression scientifique dans lequel les chercheurs s’engagent à ne formuler aucun discours d’opinion, même si cette opinion est informée par le résultat de leur recherche. The Conversation est de plus en plus stricte là-dessus, pour être irréprochable dans sa déontologie.
Le médium est parti d’Australie et a essaimé et a maintenant une série de rédaction à travers le monde, dont une en France. Cette édition française et francophone est extrêmement lue en France ainsi qu’en Afrique et au Québec. C’est donc un médium qui a une très belle audience et qui continue cette mission d’information, de diffusion de tous les types de savoirs universitaires, dans toutes les disciplines.
Pourquoi est-il intéressant pour les doctorants d’écrire dans ce média ?
Aujourd’hui, les chercheurs ne peuvent plus rester dans leur tour d’ivoire académique. On ne peut pas juste vivre notre kiffe scientifique entre nous, à l’ère de l’information, et de la désinformation, nous devons nous ouvrir à la société civile. C’est pour ça que l’on valide dans le cadre des portfolios doctoraux, cette capacité à s’ouvrir vers la société civile et à être un vecteur d’information dans l’optique du bien commun. C’est une des missions des universités en général et pas seulement du doctorat de toute façon.
Contribuer à The Conversation c’est un moyen de valider ce volet, tout simplement. C’est un exercice d’écriture extrêmement intéressant et extrêmement spécifique puisque l’on n’écrit pas pour le grand public comme on écrit pour ses pairs. Que l’on soit biologiste moléculaire, spécialiste de littérature et d’histoire des idées, économiste ou ingénieur, on a tous l’habitude d’écrire pour des gens qui sont à des niveaux de qualification au moins égal au notre. En écrivant dans The Conversation, on doit écrire pour des gens qui ont le bac, ou même pas. C’est un exercice très particulier, excessivement formateur.
C’est une chose de savoir relâcher la parole et communiquer mais communiquer de manière accessible à un public profane mais intéressé et volontaire c’est un exercice très différent. Cela demande une formation car s’approprier les codes de l’écriture journalistique, de la communication vers le grand public est difficile. Cependant, c’est extrêmement formateur car ce type de communication, c’est aussi le type de communication dont on a besoin pour monter des dossiers de financement, pour s’adresser à des élus, à des administrateurs, à des financeurs du secteur privé, à des gens qui n’ont pas une culture académique, scientifique, universitaire. Ce sont donc des compétences extrêmement rentabilisables dans la recherche de financement dans l’exercice professionnel.
Quelle est la différence entre le fait de rédiger un article scientifique et un article journalistique ?
Il y a trois différences notables. La première c’est le public auquel on s’adresse puisqu’il va falloir renoncer à deux choses essentielles : une base présupposée de connaissances communes – nous ne pouvons pas faire comme si notre interlocuteur savait – et, donc par conséquent, notre jargon, notre vocabulaire technique. Il va falloir que l’on sélectionne un ou deux termes techniques, et les définir. On ne peut pas faire l’économie de la définition. La rédaction d’un article journalistique est un peu frustrante car on a l’impression de pas réussir à dire grand-chose alors qu’en réalité on dit déjà beaucoup. Il faut vraiment être capable de décentrer son regard quand on fait cet exercice.
La deuxième différence c’est la posture. En effet, écrire un article journalistique, ça nous met dans une posture très différente parce que ça nous donne une autorité à laquelle nous ne sommes pas habitués. En tant que chercheur, on est dans un processus d’évaluation constante, par nos pairs notamment. Lorsque l’on se trouve avec cette plume journalistique là, on est dans une position d’autorité assez inédite et c’est assez effrayant. C’est là que l’appui au niveau de la déontologie journalistique de la part des membres de la rédaction est aussi très précieux.
Enfin, la troisième différence se trouve dans la concision dont il faut faire preuve, et même si les doctorants y sont très bien formés, ça reste un exercice difficile. Il faut s’exprimer en 8 000 signes maximum et la limite est ferme afin que les lecteurs puissent lire les articles pendant leurs trajets quotidiens. C’est hyper contraignant mais ça reste un des aspects essentiels.
Comment les doctorants peuvent-ils publier dans ce journal ?
Le premier critère c’est que l’établissement soit adhérent à The Conversation*. The Conversation fonctionne sur un modèle associatif et les chercheurs ne peuvent publier dans le médium que si leur établissement est adhérent. L’idée c’est que The Conversation ne soit rédigé que par des chercheurs et chercheuses actives. Il faut au moins être associé à un laboratoire.
Il y a plusieurs façons pour les doctorants et doctorantes de contribuer. La procédure ordinaire c’est de passer par l’espace pitch. Il y a sur le site, un espace pitch, dans lequel on peut proposer un sujet, on se situe dans un champ disciplinaire, qui va nous attribuer une rubrique, on s’inscrit dans une de ses rubriques, et on soumet un petit pitch de quelques lignes. Le second moyen c’est de passer par le correspondant établissement (pour l’UPVD c’est donc mon collègue conservateur des bibliothèques et moi).
Peu importe la procédure que l’on choisit, cela permet l’ouverture d’un compte sur l’interface du site. Ce compte est un espace partagé dans lequel le chercheur va rédiger son article. Un journaliste ou responsable de rubrique est de l’autre côté et appose des annotations, des corrections, des suggestions.
En effet, ce n’est pas parce que c’est un média qui fonctionne sur un modèle associatif avec l’adhésion des universités qu’il n’y a pas des journalistes professionnels. C’est une petite rédaction, qui est basée à Paris pour l’édition française, composée de journalistes scientifiques professionnels spécialistes d’un domaine, et qui ne font que The Conversation, dans une démarque de lien avec la recherche. Les journalistes interviennent uniquement sur la forme mais il n’y a aucune modification de la part des journalistes sur le contenu scientifique. Ce qui peut pour les doctorants être impressionnant car quand on écrit dans The Conversation, on écrit sur la supervision de personne.
Une fois que l’article est validé de tous les côtés, il passe dans une antichambre, en attente. La rédaction se donne le droit de publier des articles à des moments plus ou moins opportun, qui va d’un à 10 jours pour prévoir la une du site et tout ça.
Quels conseils pourriez-vous donner aux doctorants qui souhaitent publier dans The Conservation ?
Le premier conseil que je peux donner c’est faite-le ! C’est formateur, c’est intéressant, vous n’êtes pas obligés d’en écrire des dizaines mais en écrire un bien, et c’est formateur. Puis, l’effort de publication donne le droit à des crédits de formation.
Le deuxième conseil c’est de cibler un résultat en particulier, une question dont on se sent capable de parler, évoquer son sujet de prédilection, dont on est spécialiste, après il faut que ce sujet rentre en convergence avec une actualité. Quand on est doctorant, on a envie de parler d’un peu tout mais il faut identifier un point de ses compétences, il faut le connaître à fond car comme ça on peut en parler très bien, on sait faire les raccourcis pour dire quelque chose qui soit vrai même si ce n’est pas aussi précis qu’on le voudrait avec nos critères de chercheurs à nous.
*Consulter la liste des universités et établissements adhérents : https://theconversation.com/fr/partners