À la rencontre de Justine Delebarre, docteure de l’Université Paul Valéry en Sciences du Langage
Justine Delebarre, docteur en Science du langage, diplômée de l’Université Paul Valéry se livre sur l’aventure du doctorat et nous parle son expérience d’ATER à l’Université Grenoble Alpes, poste qu’elle occupe depuis presque deux ans. Un témoignage très intéressant pour en découvrir plus sur cette fonction et son articulation avec la recherche scientifique.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Justine Delebarre, je suis docteure de l’Université Paul Valéry Montpellier III. J’ai réalisé ma thèse au laboratoire LHUMAIN, je l’ai soutenue en juin 2022. En parallèle, depuis 2 ans, je suis ATER (Attachée temporaire d’enseignement et de recherche) au laboratoire LIDILEM de l’Université de Grenoble Alpes.
Quel a été votre parcours universitaire avant le doctorat ?
En 2013, j’ai obtenu une licence LEA en espagnol, italien et anglais. Ensuite, j’ai débuté un master qui finalement ne m’a pas plu donc j’en ai profité pour voyager, apprendre d’autres langues et faire mûrir mon projet professionnel. J’ai poursuivi vers un master 1 en pratique professionnelle FLE (Français Langue Étrangère), ici à Montpellier, mais en distanciel. Pour le master 2, je l’ai aussi réalisé à Montpellier, en Sciences du Langage parcours socio-linguistique et politiques linguistiques éducatives, plus porté vers la recherche.
Sur quoi portait votre sujet de thèse ?
Je me suis intéressée au rapport à l’écrit en contexte de Français Langue Seconde (FLS). Je suis intervenue pendant plusieurs années auprès d’un public migrant, de mineurs non accompagnés plus précisément, qui arrivait du continent africain et qui avait des langues premières dites « de tradition orale » c’est-à-dire des langues qu’ils ne pratiquaient qu’à l’oral. Je me suis intéressée à leur rapport à l’écrit tout en l’articulant avec leur répertoire langagier pour comprendre si les langues premières de tradition orale peuvent avoir une influence sur le rapport à l’écrit, soit sur la relation qu’ils entretiennent avec l’écrit et les effets que cela peut avoir sur leurs apprentissages.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre rôle d’ATER ?
À l’Université de Grenoble Alpes, je suis chargée de cours, en présentiel et en distanciel, pour les parcours de didactique des langues et de didactique comme langue étrangère et seconde. J’interviens plus principalement auprès des étudiants en master, et à distance auprès des étudiants du diplôme universitaire FLE pour lequel j’anime certains forums dont je suis tutrice. Je fais aussi de la formation au Centre Universitaire d’Études Française (CUEF) de Grenoble auprès des enseignants ou futurs enseignants, souhaitant se former ou se spécialiser dans le domaine du FLES.
J’ai aussi d’autres missions plus axées sur la recherche : des collaborations, l’organisation de séminaires, la mise en place de certains ateliers de travail.
Quels sont les compétences développées durant votre thèse qui vous sont utiles aujourd’hui ?
Beaucoup ! Je commencerai par dire une capacité de travail, qui s’est accrue, par nécessité, mais aussi une capacité d’adaptation car à côté de ma thèse, j’ai toujours travaillé, puisque c’était une thèse non financée. J’ai enseigné dans divers établissements, très différents, donc j’ai collaboré avec des équipes pédagogiques très diverses : dans le secondaire, dans un IUT, dans d’autres disciplines que la mienne à Paul Valéry. De ce fait, j’ai aussi développé une capacité de collaboration, dans divers environnements qui peuvent être multidisciplinaires, multilingues, etc.
Une autre compétence développée au cours de la thèse et qui aujourd’hui m’est utile est la capacité à communiquer, que ce soit à l’oral ou à l’écrit. Je pourrais ajouter la capacité de travail, la méthodologie, l’organisation, la hiérarchisation des tâches, la gestion du temps : des compétences transversales. J’ai bien évidemment également développé des compétences spécifiques à ma discipline.
Quels sont selon vous les avantages et les inconvénients du poste d’ATER ?
Par rapport à des situations que j’ai connu précédemment notamment les vacations qui sont extrêmement précaires, l’ATER permet une certaine stabilité : l’équipe avec laquelle on collabore qui est toujours la même, les conditions matérielles avec l’accès à notre propre bureau, les missions qui nous sont données à l’année et non pas deux semaines avant comme ça peut être le cas en vacation, et des salaires qui sont versés mensuellement.
Le fait de faire partie d’une équipe avec un vrai contrat de travail permet de mieux développer des collaborations, des projets, d’être mieux intégré dans l’enseignement et la recherche.
Il faut aussi préciser que c’est très valorisé par la suite lorsque l’on veut devenir maître de conférences. Lorsque l’on a eu un poste d’ATER, c’est plus engageant, on a plus de chances d’être auditionné et d’obtenir un poste de maître de conférences, pas sans difficulté, mais c’est un plus.
Enfin, un autre avantage c’est que cela laisse du temps pour travailler sur sa thèse. De mon côté, j’ai eu la chance de collaborer avec une équipe qui a beaucoup respecté cela, m’a laissé du temps à côté et ne m’a pas surchargée lors de ma dernière année.
En termes d’inconvénients, je dirais le fait d’être parfois moins bien intégré qu’un enseignant-chercheurs titulaire au niveau de la recherche. Très souvent les ATER permettent de répondre à des besoins d’enseignements essentiellement, donc c’est plus compliqué de les impliquer dans des projets de recherche mais en même temps on n’a pas toujours fini notre thèse donc on ne dispose pas toujours du temps nécessaire pour cela. Enfin pour les inconvénients, selon notre statut, on ne peut être ATER que deux ans. Dans mon cas, ce sera avec beaucoup de regrets que je quitterai l’équipe de Grenoble à la fin de cette année.
Comment vous avez fait pour obtenir ce poste d’ATER ?
Pour obtenir un poste d’ATER, il faut passer par la plateforme Galaxie, qui gère tous les recrutements au niveau de l’enseignement supérieur. Il faut se créer un profil et remplir tout un dossier
Il y a des campagnes de recrutement avec des dates bien précises, il faut s’inscrire et activer les alertes pour les postes qui nous intéressent. Les postes sont publiés et ouverts aux candidatures, en général à partir de février jusqu’à fin mars, mais ça dépend des disciplines.
Ce qui peut être surprenant et qui est le cas uniquement dans certaines disciplines, dont celle des Sciences du Langage, c’est que l’on est sélectionné sur dossier uniquement et qu’il n’y a pas d’auditions ou d’entretiens.
Comment envisagez-vous votre avenir professionnel à la suite de ce poste ?
À terme, mon projet est de devenir maître de conférences. J’ai déjà passé et obtenu la qualification. Cette année, je n’ai pas eu le poste pour lequel j’avais passé l’audition. Je sais que c’est très compliqué d’accéder à un poste. Il faut faire preuve de persévérance.
Puisque je n’ai pas été retenue pour ce poste, l’objectif pour l’année à venir serait de travailler, de nouveau dans le public ou dans le privé. Dans tous les cas, je souhaite avoir une mission qui m’intéresse réellement, ça pourrait être de l’enseignement, de la formation, de la coordination ou du conseil pédagogique. La thèse m’a dotée de compétences en gestion de projet aussi. J’ai un attrait particulier pour les questions relatives à la migration, à l’insertion professionnelle et sociale, donc j’admets que j’aimerais pouvoir intervenir dans des structures qui s’occupent de l’accompagnement de publics migrants. Travailler avec les mineurs non accompagnés est une des options que j’ai en tête puisque j’ai enseigné auprès d’eux pendant des années, et cela m’a beaucoup plu.
Dans ce contexte, comment envisagez-vous votre rapport à la recherche ?
Lorsqu’on quitte un poste d’ATER comme le mien voire l’université parfois et que l’on est à la recherche d’un emploi, la question centrale reste : comment je vais pouvoir continuer à faire de la recherche ? Est-ce que mon prochain poste me permettra de faire de la recherche ? Pour moi, la recherche est aussi importante que l’enseignement et c’est une des raisons pour lesquelles je souhaite occuper un poste de maître de conférences à l’avenir. J’ai sans cesse de nouveaux questionnements, de nouveaux projets et de nouvelles collaborations en tête. Ne pas pouvoir faire de la recherche dans mon cas c’est une double peine : cela m’oblige à mettre en suspens mes projets mais cela peut aussi me pénaliser lorsque je candidaterai à des postes de maître de conférences car pour obtenir un poste, il est important de montrer son intérêt et son travail constant en matière de recherche. Or, les conditions ne sont pas toujours réunies. En septembre prochain, j’espère donc avoir un poste qui me permette d’articuler mes fonctions avec la recherche ou qui me laissera du temps pour continuer à collaborer ou à garder un lien avec la recherche.
Quels conseils pourriez-vous donner à quelqu’un qui souhaite se lancer dans l’aventure du doctorat ?
Tout d’abord, il faut être sûr des raisons pour lesquelles on se lance dans un doctorat, ou en tout cas du sujet que l’on choisit et du fait que celui-ci va nous permettre de répondre à des questions que l’on se pose depuis longtemps. Un doctorat a des côtés sympathiques mais c’est aussi très compliqué par moments. Humainement c’est une véritable expérience.
Un deuxième conseil c’est de bien se renseigner avant de commencer, cela peut être en réalisant, comme je l’ai fait une année dite 0. J’ai fait une année avant de m’inscrire pour déjà réfléchir à ma thématique, commencer à lire et je pense que ça peut être intéressant de le faire, en tout cas quand on a les moyens. Cela permet de cibler un peu plus ce que l’on veut faire, et de ne pas perdre une année. Très souvent la première année de thèse, on est un peu dispersé, on ne sait pas trop ce qu’on veut faire, c’est la pêche aux infos dans tous les domaines, pour le peu qu’on n’ait pas une situation professionnelle et financière stable, c’est encore plus compliqué.
Enfin, pendant la thèse, il est important de mettre en place, très rapidement, des outils de gestion du temps et des tâches, et de ne pas attendre de se laisser déborder : ça passe par la gestion des mails, l’écriture, l’élaboration d’un calendrier. Il faut aussi se garder des temps pour se détendre sans culpabiliser. Ça a été mon problème durant une grande partie de ma thèse. À chaque fois que je prenais du temps pour moi je me disais « mais ce temps j’aurais pu l’utiliser pour travailler sur ma thèse ». Il faut essayer de garder un équilibre social et familial, et surtout s’entourer des autres doctorants et ne pas rester isoler. Cela peut passer notamment par la participation ou l’organisation d’événements comme des colloques ou des journées d’étude. C’est un super tremplin pour faire des connaissances et créer des équipes. Il ne faut pas hésiter à participer à tous les événements possibles, ça donne toujours lieu à des belles collaborations et à des échanges qui nous permettent d’avancer.